mercredi 21 mai 2008

Wasis Diop


Mots croisés avec...
Wasis Diop, auteur compositeur : ‘Mon album sera disponible chez les pirates’

A l’occasion de la sortie de son nouvel album, Judu Bék (traduit par ‘La joie de vivre’), Wasis Diop s’est confié à notre correspondant à Paris. Dans cette seconde partie d’entretien, il revient sur le rôle de la piraterie dans la diffusion de son œuvre et évoque le souvenir de son frère, le cinéaste Djibril Diop Mambety.

Votre nouvel album est sorti le 19 mai en France et en Europe, quand sera-t-il sur le marché africain ?

Il ne faut pas se faire d’illusions pour les sorties en Afrique. Nous ne sommes pas organisés pour accueillir des sorties. Le marché de disque n’existe pas chez nous. Il y a quelques marchands marginaux qui font venir des disques en import, et qui les vendent trop cher pour que le commun des communs puisse avoir accès à ça. Mais que voulez-vous ? Nous ne sommes pas organisés pour. Il y a tellement de musiques africaines et tellement de potentialités, qu’on se demande pourquoi l’industrie musicale africaine n’existe pas. Mais c’est la faute à qui ? C’est la faute à tout le monde. C’est difficile de parler de sortie, mais il faut dire qu’il sera forcément disponible chez les pirates. Comment peut-on les empêcher de voler encore ? Mais si cela sert à faire en sorte que le petit Sénégalais qui aime la musique, qui l’adore, qui la sublime, puisse entendre le message, en ce moment la piraterie n’est plus une piraterie : c’est autre chose. Il faudrait trouver un autre nom. Mais en même temps, c’est normal qu’il y ait de la piraterie en Afrique. Parce que, si nous sommes responsables en tant que professionnels de la musique, si nous étions organisés avec toute la rigueur nécessaire pour faire en sorte que nos disques soient disponibles à des prix raisonnables, il n’y aurait pas eu besoin de piratage. Je crois que ce ne sont pas ceux qui font le piratage qui sont fautifs, c’est nous, professionnels de la musique, qui sommes fautifs. Que ceux que j’appelle ‘pirates’ me pardonnent, mais ils participent à la promotion de notre art. En fait, ils piratent, mais ils nous renvoient l’ascenseur. C’est grâce à eux que les petits de Grand-Dakar, de Yarakh, de Keur Massar, de Pikine, tous ces quartiers où il y a une jeunesse absolument vaillante, énergique, romantique qui ne demande qu’à s’enflammer, qu’à prendre la vie à mille à l’heure, ont accès à ce que l’on fait. C’est bien !

Mais vous faites l’apologie de la piraterie…

Oui ! Je suis contradictoire ! En commençant, j’étais contre, mais en parlant, tout d’un coup, je ne suis plus d’accord avec moi-même. Je me suis dit : ‘Attends, en fait ces pirates, nous font l’amitié de faire notre promotion.’ Il faut voir le bon côté des choses. Mais ce ne sont plus des pirates. Ils participent tout simplement à véhiculer le message. C’est cela qui est le plus important.

Vous faîtes beaucoup de musiques de film parallèlement à votre carrière de chanteur dans le show-biz. Quel lien existe-t-il entre ces deux genres musicaux ?

Ce sont deux genres qui se complètent effectivement parce que le cinéma a besoin de la musique. J’aime le cinéma et en même temps, c’est un complément. Le film ne peut se faire sans musique. Mon travail, c’est de faire de la musique que ce soit pour le cinéma ou que ce soit pour les gens qui prennent leur bain en écoutant ou pour des gens qui se disputent en écoutant.

Comment expliquez-vous que vous ne soyez pas bien connu au Sénégal ?

Je ne cherche pas la reconnaissance. J’ai une mission, c’est d’être artiste. J’ai commencé par plusieurs choses. J’ai fait la peinture, la sculpture, je fais de la musique, j’ai été à l’école des arts, j’ai fait de la photographie… Pour moi, l’art, c’est l’art. Je n’ai pas forcément trouvé ma voie. Peut-être que j’aurais dû être moine dans un grand sanctuaire et enseigner la vie et ses aléas aux enfants et à ceux qui voyagent et qui cherchent…

Quand allez-vous produire au Sénégal ?

Si vous m’invitez, je vous suis tout de suite. Je n’attends que cela. J’ai répondu à toutes les invitations venant du Sénégal.

A notre connaissance, vous ne vous y êtes produit que deux fois seulement.

Et ce n’est pas raisonnable. Mais ce n’est pas de ma faute. Je ne suis pas un promoteur de spectacles. Si les promoteurs viennent me chercher, j’y vais.

Vous êtes de Colobane, un quartier populaire de Dakar, quels souvenirs vous reste-il encore de ce quartier ?

Je suis de Colobane ! Je suis un produit de Colobane. Tout ce que je suis, ça vient de là. Il n’y a rien que j’ai pu inventer. Tout est parti de Colobane en présence de mon père et de ma mère. Avec ce quartier poétique, avec ses deux mosquées concurrentes, ‘Rock’ et ‘Saku’… (Rires).

Cette année, c’est le dixième anniversaire de la mort de votre frère, le cinéaste Djibril Diop Mambéty. Quelque chose est-il prévu pour le célébrer ?

Mon frère avait horreur des anniversaires. J’espère que rien ne se passera (…) L’Etat a d’autres problèmes que des chrysanthèmes, pour dire la vérité. Cela n’intéresse pas Djibril. Je suis sûr que cela ne l’intéresserait pas. *(Fin)

Propos recueillis à Paris par Moustapha BARRY

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